Les raisons d'un arrêt

Il y a d'abord la victoire de Mitterrand et de la gauche, qui paralyse ses clients appartenant en majorité aux classes moyennes, les commandes se ralentissent brusquement. Il y a surtout la difficulté croissante à obtenir des fournitures correctes de la part des nombreux sous-traitants:

"Sur les amplis japonais, l'équilibre des potentiomètres est respecté à moins d'un dB, en France, personne ne donnait aucune garantie à cet égard, nos deux fournisseurs allemands ne garantissaient pas mieux que 3dB, ce qui n'était pas toujours respecté et obligeait à faire un tri avant cablage. Pour les mousses de façade nous avons dû attendre 4 mois de plus que prévu que Nobel Bozel nous livre des produits convenables, heureusement que nos clients nous faisaient confiance et prenaient livraison du matériel sans cet élément, faute de quoi nous n'aurions rien pu livrer..
J'ai toujours testé chaque haut parleur avant montage en relevant courbe de réponse et fréquence de résonance. Or il m'est arrivé de constater sur une série de tweeters un niveau trop faible d'environ 7dB. Suspectant une aimantation défectueuse des ferrites, j'ai contacté Audax, qui m'a assuré que c'était impossible, mais, devant mon insistance, m'a proposé de repasser les HP au banc d'aimantation. Quelques semaines plus tard on m'a fait savoir que j'avais levé un lièvre inattendu et qu'effectivement leur banc d'aimantation était en panne.
Le simple contrôle d'un HP sur mille aurait permis de constater le défaut. Outre le manque de sérieux d'Audax, cela prouve que leurs autres clients se contentaient de n'importe quoi et que l'utilisateur final en faisait les frais. Sur les derniéres livraisons de façades, nous avons eu un déchet de 75%..."
Marcel Vaissaire prend donc sa retraite, mais reste en contact pendant plusieurs années avec la haute-fidélité, par le biais d'un ancien fidèle client -qui avait d'ailleurs envisagé de reprendre la marque, mais préféré se lancer dans l'édition de la revue Compact Disque. C'est lui qui mesure et note la valeur technique des enregistrements. Un temps, il escompte une reprise de la conjoncture qui permette de relancer une production à petite échelle des derniers modéles, dont l'Elstat (voir photo)

mais il constate que la difficulté à trouver des sous-traitants sérieux ne cesse de croitre, et que le niveau technique auquel sont arrivés les grands constructeurs japonais pour leurs produits a suffisamment progressé pour satisfaire la quasi totalité des utilisateurs.

"Le seule possibilité reste de proposer à prix d'or des fabrications ésotériques, pour une clientèle naive croyant au miracle du cablâge en fil d'argent et autres stupidités. N'ayant aucune disposition pour vendre du vent, cela ne m'a pas intéressé"

Sarastro


A l'instar d'autres grands créateurs de matériels de reproduction, tels Levinson ou Charlin, Marcel Vaissaire s'est intéressé à l'édition d'enregistrements, dans laquelle il voyait par ailleurs une alternative à une activité de concepteur/constructeur empreinte d'aléas. Il réglait déjá les magnétophones qu'il fournissait pour accompagner ses chaines, pour en faire des bêtes de course parfaitement optimisées. Pour ses disques, il choisit ce que la technique de l'époque offrait de mieux, le 30 cm enregistré en 45 tours, seule technique permettant une qualité auditive indiscernable de la bande originale, allant jusqu'à proposer une série limitée codée selon le procédé dbx, ce qui impliquait cependant de disposer du décodeur de cette marque (le dbx consistait essentiellement en une préaccentuation de l'aigu).
Les 41 enregistrements Sarastro furent réalisés par Georges Kisselhoff, avec son systéme de tête artificielle "real phase" inspiré de celui d'André Charlin et sur des magnétophones réglés pour atteindre un rapport signal/bruit de 100 dB . Le montage était fait par Mireille Landmann. La gravure se faisait sans aucune compression ni correction du spectre.
Vingt-neuf furent édités, parmi lesquels plusieurs disques de piano interprétés par Paraskivesco, d'orgue, joués par Stricker à Saint Maximin de Thionville, et de quatuors, joués par le quatuor Suk.
L'aventure Sarastro s'acheva en même temps que celle d'Audiotec.
Les bandes originales furent rachetées pour un prix symbolique par Calliope, certaines ont fait l'objet d'une réédition en CD chez cet éditeur.


AUDIOTEC et les tests:

"Le son sans falsification"

N'ayant, comme il le dit lui-même, aucune disposition pour vendre du vent, Marcel Vaissaire ne se fiait pas exclusivement aux résultats d'écoute. Bien au contraire, il était persuadé que la qualité passait par un contrôle sévère des performances électriques, et il livrait d'ailleurs chacun de ses amplis avec la liasse des relevés B&K constatés au passage au banc, épreuve certainement longue et délicate qu'il imposait avant livraison.
En témoigne aussi sa fiche "Comment choisir une chaine haute fidélité", où il se faisait l'avocat de taux de distorsion inférieurs à 0,1% et de bandes passantes enceintes tenues à 4 dB près, et affirmait, en 1976:

" Pour fixer les idées, disons qu'un ensemble ampli, platine et enceintes ne peut être vendu à un prix inférieur à environ 5500F si les composants sont de qualité et les contrôles et réglages effectués comme ils doivent l'être. A l'aute extrémité de la gamme le prix le plus élevé ne doit pas dépasser 13 à 15000F. Un prix plus élevé résulte vraisemblablement de marges commerciales exagérées, de l'adjonction de gadgets inutiles ou de l'exploitation du snobisme des prix élevés"
Il préférait donc confier ses produits à des labos réputés pour leur sérieux, par exemple le Laboratoire National d'essais, qui attestait à la combinaison A 960+PR906

- Une courbe de réponse remarquablement rectiligne
- Des signaux carrés quasiment parfaits, avec un temps de montée de 2 microsecondes
- Une distorsion comprise entre 0,01 et 0,02%
- Un rapport signal/bruit de 104dB en haut niveau.


Ces mesures précédaient pour Diapason (10/1976) un rapport d'écoute de Georges Kisselhoff qui relevait "un son chaud, confortable, et á la fois très fin sans aucune dureté; une parfaite synthèse des détails, une grande clarté, vérité et lisibilité des timbres et une masse sonore magnifique" .
Le casque CES a été encensé par Gilles Nardeau, dans Harmonie, qui admirait, outre les qualités d'aigu propres aux électrostatiques, la profondeur des basses, naturelles et véridiques, par Karl Breh, dans HiFi Stereophonie, qui le jugeait "hervorragend" et par Wireless World.
Outre Alain Gerber et J.M. Grenier, les amplis et enceintes Audiotec ont été particulièrement appréciés par le canadien Gilles Poirier, dont le Guide de la haute-fidélité figurait comme unique ouvrage de référence dans de nombreuses bibliothèques françaises. Il y déclarait n'avoir jamais entendu plus beau son que celui des E65N.

Les nombreux témoignages de clients mettaient en avant le rapport qualité/prix absolument exceptionnel. Une constante des produits Audiotec, d'autant que l'on pouvait économiser 20% du tarif catalogue en commandant directement à Arcueil et allant, quelques semaines plus tard, prendre livraison au carrefour de la Vache Noire...

 

Complément:

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Les dernières chaînes, de 1978 à la fin d'Audiotec

C'est la défunte revue HiFi-Conseils qui a le mieux accompagné, par des bancs d'essais et comptes-rendus d'écoute particulièrement détaillés, les dernières années d'Audiotec. Années de plénitude, pourrait-on dire, puisque la gamme de Marcel Vaissaire couvre tout ce dont a besoin "l'audiophile honnête" -si l'on excepte les bras et cellules que fournit Audiotechnica.
En 1979 HiFi-Conseils présente la B98, qui vient de succéder à la B95 en milieu de gamme. Cette colonne de 61x30x30 et 18 kg, vendue 1450F sans habillage, est équipée d'un 25cm Audax et de deux transducteurs á dôme RTC de 50 et 25mm, les coupures se faisant à 600 et 5000Hz. Les filtres, énergiques, ne comptent pas moins de 20 éléments, chacun isolé par une petite bande de mousse des vibrations de la caisse...Un traitement anti-MDI avant l'heure!
L'écoute est résumée par les points forts "Un trés grand respect des timbres, la netteté et clarté de la reproduction, le rendu des transitoires et la bonne restitution de l'extrême grave" et la constation qu'il est difficile de formuler un quelconque point faible. Ce n'est que dans les commentaires détaillés sur cette "très, très belle réalisation" qu'est mentionné un léger manque de bas médium dans les meilleures salles.
Il est intentionnel, comme Marcel Vaissaire l'explique peu après, à l'occasion de la présentation de l'égaliseur Audiotec EG1 en janvier 1980:
On est maintenant parvenu à réaliser des enceintes ayant un taux de distorsion raisonnable et des colorations réduites(...) cependant laréponse en fréquence, si elle est trés régulière en champ libre (p.ex. chambre sourde) est totalement perturbée par l'acoustique de la pièce d'écoute. Les pièces d'habitation normales ont en général une acoustique qui favorise les fréquences du bas-médium avec des résonances très marquées dans le grave alors que l'aigu et le haut-médium sont partiellement absorbés par les éléments mous de l'ameublement. Cette absorption des fréquences élevées, souhaîtable en soi, car une acoustique réverbérante conduirait là à une audition agressive et dure, n'en amène pas moins, conjuguée au bas-médium accentué, une audition cotonneuse et manquant de définition. L'effet de masque de ce bas-médium sur le haut du spectre est désastreux et d'autant plus gênant que la grande majorité des enceintes présente dans cette zone un excès de rendement. Un égaliseur permet de rémédier facilement et efficacement à cette situation, ainsi qu'aux défauts de nombreux enregistrements commerciaux qui exagèrent encore cette prédominance.

L'EG1 ne se limite pas à ces corrections, que déjà aucun des correcteurs classiques alors à la mode, voire obligatoires en haut de gamme, sur les amplis n'est capable d'effectuer avec assez de précision: Il est destiné à corriger tout défaut d'équilibre d'autres maillons de la chaîne, en particulier des sources, alors exclusivement analogiques, par des réglages de base faciles à retrouver, et aussi, au coup par coup, à rétablir l'équilibre de certaines prises de son défectueuses. L'EG1 ne compte donc pas moins de onze plages de correction, chaque réglage agissant sur une bande de la largeur d'une octave, et aux limites elles même variables dans un rapport approximatif de 1 à 1,5, utilisables tant en reproduction que sur une modulation à enregistrer; les réglages se font exclusivement par contacteurs et l'électronique est particulièrement soignée, avec une distorsion limitée à 0.01% et un bruit de fond rejeté à 96dB.
D'après Marcel Vaissaire "aprés quelques séances d'essais échelonnées sur une semaine, la majorité des utilisateurs peut arriver à des résultats très satisfaisants", bien que les amateurs d'enregistrement puissent encore raccourcir ce délai en comparant un enregistrement de voix fait en plein air avec la même voix en direct à l'intérieur de la future pièce d'écoute, étant entendu qu'on peut aussi arriver à ses fins avec une générateur de bruit rose et un analyseur, á condition de peaufiner le résultat obtenu "à l'écoute".
Si l'EG1 a été commercialisé, ce n'est certainement que brièvement et à peu d'exemplaires, aucune mention n'est d'ailleurs faite de son prix dans la présentation par HiFi-Conseils.
La quasi-totalité de ses clients ne disposant pas d'un appareil équivalent, Marcel Vaissaire règle donc ses enceintes en fonction des "dimensions généralement constatées" de leur pièce d'écoute, comme le confirme le relevé de bande passante de la G150, publié également par HiFi-Conseils à la même époque: D'une fantastique linéarité au delà de 150Hz, où la courbe tient dans +/-1,5dB, il montre une atténuation régulière vers les fréquences les plus basses, avec -5dB à 50Hz et -8dB à 30Hz.
Malgré cette atténuation, HiFi-Conseils note à l'écoute du disque Sarastro enregistré à Thionville " le grave et l'extrême grave du pédalier sont d'une présence et d'une propreté confondante"; force est donc de supposer qu'Audiotec a trouvé le bon remède aux problèmes acoustiques que posent la majorité des salons d'écoute des particuliers...

Mais la chaîne G150 mérite d'être présentée en détail, quoique moins largement que la revue, qui lui consacre onze pleines pages!
Si l'on fait abstraction de la platine ED3 et des autres sources que l'on peut lui raccorder, elle ne compte pas moins de sept éléments:
- Un préampli PR916
- Un filtre FA2
- Trois amplis stereos rassemblés en un boitier de multiamplification A 506
- et deux enceintes G150.

Le préampli présente quelques particularités typiques des conceptions Audiotec:
-Réglage fin de la tension d'alimentation pour "coller" au secteur à 10 volts près et éviter toute perte de puissance ou surtension.
-Potentiomètre de volume en bout d'étage
-Utilisation de prises DIN sur les entrées magnétophone et de connecteurs mini-jacks, jugées supérieurs aux RCA pour les autres.
-Etalonnage des réglages de balance et tonalité pour que la position médiane corresponde bien à une action nulle.

Le filtre actif est à fréquences fixes et alimenté par le bloc d'amplification, ce qui interdit pratiquement son usage hors la chaîne G150. Il comporte une possibilité d'accentuation du bas médium.

Les trois amplificateurs de chaque bloc A506 ne diffèrent que par leur puissance, fixée à 70W pour la voie grave et 55W pour chacune des deux autres. Ils reprennent le montage déjà connu sur les modèles précédents d'Audiotec, avec transistors PNP et NPN rigoureusement complémentaires et alimentation par transfos double C.

Quant aux G150, elles présentent plusieurs originalités, outre l'entière séparation des voies du fait de la triamplification avec coupures à 600 et 5000Hz:
- Utilisation comme transducteur de basses d'un couplage de HP de 25cm montés en "push pull" avec leurs concavités en vis à vis. Les HP, alimentés en phase, emprisonnent ainsi entre leurs membranes un volume d'air clos, ce qui symétrise leurs déplacements, réduit leurs distorsions et abaisse leur fréquence de résonance. Ce couplage est chargé par un coffret clos de 30x30, profond de 58cm.
- Utilisation de coffrets/boitiers séparés pour les voies médium et aigu, utilisant des transducteurs à dôme de respectivement 50 et 25mm, ces boitiers étant décalés jusqu'à l'extrémité arrière du "caisson" de basses (soit d'une distance horizontale d'une cinquantaine de centimètres) pour assurer une mise en phase correcte sur tout type de signal et pas seulement en régime sinusoidal.

Les mesures effectuées par le labo de la revue révèlent une qualité d'électronique proprement ahurissante dans tous les domaines:
- 3Hz à 220 kHz dans un dB pour le préampli
- 93dB (Pondéré A) de rapport signal/bruit sur l'entrée phono, ce qui doit constituer un record absolu, et 100dB sur le haut niveau.
- Moins de 0,01% d'intermodulation sur le préampli et de 0,05% quel que soit le régime sur l'ampli
- remarquable restitution des signaux carrés avec un temps de montée de 3,3 sur créneau de ...50V!

Et l'écoute? Ne relevons que la conclusion de J.C. Barnsley, heureusement plus tranchée que les jugements timorés entretemps à la mode:
"Nous sommes devant l'un des deux ou trois meilleurs systèmes de reproduction au monde à l'heure actuelle"

Et ceci pour une prix total, platine comprise, de moins de 16.000F en 1980!

Jean Marie Willigens

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