L'Audiophile. Troisième trimestre 2003

 

L'Audiophile allemand est le cahier High End publié trimestriellement par les deux revues cousines Stereoplay et Audio, elle-mêmes émanations des "Vereinigte Motor Verlage", dont la palette de magazines automobiles doit compter des dizaines de titres.

Revue grand format, sur beau papier et composée avec un souci évident de mise en page et de mise en valeur de splendides photographies, elle vise à faire pièce aux deux autres publications spécialisées dans les matériels haut de gamme voire ésotériques, HiFi & Record et Image HiFi.

 

Pour le troisième numéro de 2002, et pour renouveler une formule pourtant plaisante, avec une partie culturelle, actualité musicale et critiques d'enregistrements (les Allemands parlent de récensions), de haut niveau, la rédaction introduit un nouveau cahier, intitulé "Audiophile Review" . Elle est consacrée aux classiques d'antan et au potentiel qu'il est encore -et à quelles conditions- possible d'en tirer.

 

Pour l'inaugurer, pouvait t'on trouver meilleur sujet que les "grands" magabobs de Revox, A77, B77 et A700? Dix neuf pages les présentent en détail, faisant l'inventaire de leur spécificités, et un tableau réaliste de leurs qualités et défauts, avec les caveat de rigueur concernant leurs fragilités mécaniques ou électriques. L'auteur est tombé dans le magabob quand il était tout petit et en a conservé une gourmandise qui se lit à chaque ligne, au point qu'à la dernière page on se prend à acquiescer quand il conte son expérience de l'amélioration sonore qu'apporte le repiquage d'un CD sur bande...

Comme le reste de l'Audiophile, le cahier des classiques d'antan comporte une notation, au moyen d'une barre de couleur qui peut aller jusqu'à toucher la catégorie ultime.

Ici les six catégories sont dénommées

"N'y touchez pas, laissez tomber!"

"Pour accros uniquement"

"Pourquoi pas?"

"Ne dépare pas une collection"

"Ne devrait pas manquer"

"A avoir impérativement"

Les trois Revox sont dans cette dernière, la barre verte du A77 venant même en butée à l'extrémité. Pour 300 à 500 écus donnés comme fourchette normale en occasion, difficile de ne pas se rallier à cet avis!

Le classement confirme un avis fréquemment entendu, que les Revox ont (très) légèrement perdu en musicalité à mesure que le progrès technique rendait leur maniement plus aisé et fiable. Ce qui se formule aussi "c'était mieux avant!".

 

Un revue qui se nomme Audiophile, surtout en Allemagne, se doit de faire la part belle à l'autre analogique,  le microsillon. Ce n'est pas moins de sept pages qui sont consacrées au nouveau pick-up THDG du fabricant trinational Lyra (ex Scan-Tech), dans lequel un norvégien a réuni un nippo-américain ancien de chez Supex et un japonais (Mishima) concepteur en son temps du Linn Troika.

Ce modèle Lyra Titan, vendu 4500 écus, fait non seulement montre de qualités sonores exceptionnelles, mais se révèle à peu près imperturbable au type de bras sur lequel il est monté, alors que ses rivaux sont beaucoup plus chatouilleux. Ce que l'Audiophile exprime dans ses graphiques de notation par une barre qui peut débuter en vert, pour se prolonger en orange, puis en rouge, ainsi pour l'Audionote Io, qui n'atteint "normalement" (barre verte) que le top de la "ligue des champions" et trois étoiles, mais qui peut s'élever à quatre, voire au seuil des six étoiles au prix de savantes et difficiles combinaisons de bras, platines et transfos.

Pour le Titan, la note est claire et limpide, la barre verte touche déjà les six étoiles, il sonnerait sans doute magnifiquement sur un Teppaz, et sa courte barre rouge (il faut bien laisser la place à un minimum de touiquage!) va en butée au top de cette catégorie. Ce qui lui vaut d'être déclaré vainqueur (provisoire) au palmarès du meileur système ever, déclassant l'Insider Gold et le Linn Akiva.

Car, et c'est bien là l'intérêt de la revue,  il y a dans chaque numéro un récapitulatif de ces fameux graphiques tricolores, très pratique pour saisir les hiérarchies d'un clin d'oeil. Et pour constater par exemple que l'Ortofon Kontrapunkt b fait largement jeu égal, d'après ce classement tout au moins, avec les Clearaudio Victory Gold et Grado Statement Master, deux fois plus chers...

 

Et que faut-il à la meilleure cellule du monde? Un bras, bien sûr! Et comme le constructeur francon Peter Suchy fête cette année les 25 ans de Clearaudio, c'est son dernier né que l'on passe au banc. Pas tout seul! L'Unify, ici en version de course ultra-longue de 14 pouces, est installé en l'occurence sur la nouvelle platine Anniversary (chromes, pointes, plexiglas, et très beau multiplis de bouleau) et équipé d'un pick-up Melody.

On dit l'Unify "normal" très bon et à la hauteur de sa mission, qui était d'offrir aux clients de la maison une troisième voie entre les bras d'origine Rega, excellents mais que d'aucuns jugent peut-être indignes d'une table tournante à plus de 5000 écus, et le bras linéaire que propose la maison, d'origine américaine (Lou Souther). Les cinq pouces (!) supplémentaires de la version longue semblent apporter un surcroît d'autorité appréciable sur par exemple les grandes masses orchestrales.

Pour autant le bilan du BE est mitigé. Les mesures, car l'Audiophile mesure, font apparaître quelques zones à problèmes comme une résonance du bras à 350 Hz ou un écart entre canaux du Melody dans l'extrême-aigu. Et la barre verte de l'ensemble proposé par Clearaudio pour pas loin de 50.000 Pinay ne fait que tangenter les quatre étoiles, on ne les atteint vraiment quavec une barre orange annonciatrice de longs efforts d'optimisation et de mise en oeuvre. A peine plus chère que l'Anniversary, la Verdier, par exemple, atteint sans difficultés les cinq étoiles au déballage, et le pinnacle des six après peaufinage patient...

 

Tournons la page de Clearaudio pour tomber sur une nouvelle débauche de plexiglas: Base, plateau, bras et même coquille d'icelui dansle plus bel acrylique. Tiens, voilà Transrotor, se dit-on, en supputant que la rédaction ne pouvait parler de l'un (Suchy) sans mentionner l'autre (Raeke). Et bien, pas du tout! Cette deuxième platine n'est pas allemande, mais britannique, et création d'un Touraj Moghaddam qui faisait jusqu'ici plutôt dans les bois, ersatzs* de bois, bois reconstitués et placages chers à tels gourous écossais et leurs thuriféraires. Cette platine Roksan Radius 5 avec son bras Nima (le nom signalerait-il une lointaine parenté architecturale avec cet autre unipivot qu'est l'ARO de N.A.I.M.?) est vendue 1300 écus. Avec un Goldring/Roksan Corus Black (300E) elle s'installe dans la "Premium League" des deux étoiles.  Avec un meilleur pick-up, tel le Benz ACE-L, elle passe dans la catégorie des Champions et trois étoiles, où elle cotoie par exemple la Planar 25...

 

Selon l'adage, un bras vous fait une belle jambe, même avec la plus belle des charrues à vinyle... si vous n'avez pas l'indispensable accessoire électro-électronique pour alimenter le reste de votre chaîne. Et là, c'est souvent le flou total pour s'orienter sur un marché essentiellement d'artisans. Bonne idée donc que celle de l'Audiophile, de tester huit préamplis phono ou pré-prés dans la zone prétialle de l'ancienne brique. Résumons vite le banc d'essai pour constater que les plus chers ne sont pas les meilleurs ni les plus versatiles, et que les meilleurs rapports qualité/prix semblent représentés par le Roksan DX2 Artaxerxes (1550E), qui atteint les cinq étoiles confortables, et le Trigon Advance (915E) qui vient les toucher. Ce qui ne veut pas dire que tel ou tel concurent ne restera pas imbattable sur un couplage avec une cellule particulière, le Cayin Lyric étant ainsi donné comme excellent avec une DL-103.

ll y a mieux, l'Audio Research Reference, State of the Art  à six étoiles, mais c'est plus cher: Comptez 9000 écus.

 

Bon, continuons de nous occuper de ce signal que la cellule, guidée par le bras, aura fourni au préampli: Que va t'on en faire? Et oui!L'amplifier, bien sûr. Excellente idée de l'Audiophile donc, de nous inclure deux bancs d'essais d'amplificateurs. Profondément différents, même si tous deux sont affreux... puisque l'un est un gros truc pro à totors, l'autre un gros truc audiophile à lampes.

Le truc à totors hideux avec des grosses poignées, une finition qui rappelle le T-34 et un gros interrupteur de machine à café c'est le Tannoy 600, pro jusqu'au bout de ses connections speakon et XLR. Vu son prix au watt ridicule ne nous plaignons pas des plastiques verts ni du ventilo peu discret. C'est que la machine étale ses doubles 360 watts d'une manière souveraine avec une stabilité imperturbable et la musicalité d'un très bon bloc à tubes. Ce qui lui vaut de toucher au summum du ""Top High-End/quatre étoiles" par une barre verte continue, signalant qu'elle se moque de ce qu'on peut lui coupler comme enceintes, et d'égaler par exemple un bloc Plinius SA-102 et de largement distancer un Vincent SA 991 ou un NAP 150.

Tout ça pour 1500 écus, ventilo compris...Un top buy, donc!

Le truc à tubes hideux avec aussi des grosses poignées, dans un bleu pastel très Art Déco de Miami, c'est le Neo Classic 250 d'Eva Manley. Et il vous en faudra deux, puisque ce sont des blocs monos. Bien que l'auteur du BE se perde plus en détails sur les Harley Davidson d'Eva Manley que sur le son qui sort de son Neo Classic, il s'agit manifestement là d'une grande électronique à tubes.

Tubes avec plusieurs s puisque chaque bloc en fait chauffer 13, dont dix El-34, qu'un levier en façade permet de commuter entre tétrode et triode, la puisance revenant dans de cas de 240 watt à 155 (sous 8 Ohm, qui semble être l'impédance préférée de ces électroniques à leur sortie). En entrée la bête n'est pas trop exigeante, ce qui lui vaut de se voir reconnaitre en tout cas (barre verte) une place dans la classe cinq étoiles. Mais elle semble développer une magie particulière si on l'accole au préampli Manley de la même série Neo-Classic (une 300B), auquel cas elle touche le seuil des six étoiles du State of the Art. où elle cotoie par exemple un Mc 602 ou un Classé 401, d'ailleurs de prix voisin, autour de 12000 écus (la paire, pour les Manley).

 

Le vrai audiophile ayant d'entrée arraché les trois pages consacrés à un écran plasma, ne lui resteront des 150 pages que celles consacrées aux dernier maillon de sa chaîne, les enceintes. Glissons là discrètement sur le "Surround set" d'Audio Physics, (même s'il est bien noté, il y a d'autres revues pour les aficionados du 5+2 ou 8+3), pour nous concentrer sur les vraies enceintes, celles qui vont par paire.

 

Avec en ouverture un monstre de deux fois 210 kilogrammes et deux fois 35 kiloécus, dont la barre verte de notation ne s'arrête qu'à moins d'un millimètre de l'extrémité droite du tableau et dont Wolfram Eifert, qui les a testés, résume son opinion par une question/réponse :"Les meilleures enceintes du monde? Si c'est à moi que vous demandez, Oui!",  j'ai nommé les JMLab Grande Utopia Beryllium.   

S'il résume ainsi, quoi dire de plus?

L'intermezzo, il faut bien digérer, revient à un modèle moins stratosphérique, la Pro Ac Tablett Reference Eight Signature (Ouf!) ne pesant, par paire, que dix kilos et 2100 écus et s'inscrivant, au moins pour deux dimensions, à peu près dans un format A4. De quoi loger un 11cm comme boomer, pas plus, ce qui ne va pas sans limiter la bande passante, qui se fait la malle en dessous de... à vue de nez 60 hertz.

 Mais si la Pro-Ac  ne fait pas tout, ce qu'elle fait, elle le fait à 100%, avec en particulier une très grande précision et beaucoup de détails. Le hic c'est qu'elle a besoin pour cela d'un ampli puissant et stable, capable de la catapulter de la maigre étoile de la catégorie "hi-fi de qualité" vers deux catégories plus haut. Un Tannoy, par exemple?

 

Pour le final, un autre géant, du genre longiline, avec près de deux mètres vingt de hauteur pour -seulement!- 80 kilgrammes de poids, un autre produit phare importé de la Douce France, la Triangle Magellan. Pour l'alimenter Knut Isberner n'a pas fait dans la dentelle, puisqu'il lui a branché les plus grosses électroniques de la gamme Accuphase ((après avoir cependant testé un V40 à tubes de chez Octave, qui s'est déjá bien comporté). Et il confirme que ces débauches de watts confèrent à la Magellan une exceptionnelle qualité "à réaliser le grand écart entre micro et macrocosmos", à reproduire de la manière la plus parfaite l'exacte spatialité concotée par l'ingé son à la prise, tel le "Meilleur explorateur de l'espace acoustique". Ceci, joint à une grande clarté dans la présentation, compense et de très loin le léger déficit en matiére d'extrême grave.

La note est donc fulminante: Une barre verte qui touche les six étoiles, une barre orange (quelques touiques sur les amplis et heures consacrées au placement optimal) qui va confortablement à l'intérieur du "State of the Art", cotoyer, voire légèrement dépasser des splendeurs telles l'Eidolon ou la Dynaudio Evidence Master.

 

Un numéro de l'Audiophile, donc, à acheter pour porter avec soi au prochain quatorze juillet!

 

J'oubliais de mentionner que pour onze maigres écus cette superbe revue comporte aussi un excellent CD de plages également audiophiles de l'éditeur scandinave Opus3.

Celui qui accompagnait la revue (dont j'ai pris un abonnement d'essai de deux numéros) comportait trois grosses rayures. Le lendemain de mon coup de téléphone à Stuttgart j'avais un "ersatz" intégral**. Cette remarque pour les ceusses qui ont déjà essayé de régler des question d'abonnement avec Diapason...

 

* Merci à Bernard de vérifier si "Ersatz" prend un "s" au pluriel.

**: J'ai donc en trop un exemplaire de la revue, en bon état, et un autre du CD, rayé. Faire offres. Dan fera suivre.