Une réalistation de Christian Budendorf sur le Jason de JMW....tout un programme

Par Christian Budendorf

deuxième partie

En fait de mise sous tension il suffit d’ajouter à l’étape précédente l’alimentation des filaments, la haute tension ayant déjà été appliquée. Les deux fils étant ressoudés nous voilà donc prêts pour observer ce qui va se passer … Pour ma part c’est un moment que j’appréhende toujours ! Autant je suis impatient « de voir », autant je crains de voir !!! Bon, une dernière vérification et hop, je tourne le « Variac » et monte progressivement la tension. Pour l’instant tout va bien, pas de fumée à l’horizon, pas de bruit suspect. Les filaments s’illuminent, la H.T., surveillée d’un œil à l’aide d’un voltmètre raccordé en sortie d’alimentation, chute légèrement indiquant que les tubes sont maintenant en fonctionnement. Observons … Pour cette phase tous les sens sont utiles ! Tout d’abord la vue : c’est elle qui sera la première à détecter un éventuel début de « foyer d’incendie ». Et si cela devait se produire autant dire qu’il conviendrait de couper sans discernement l’alimentation ! Mais une observation attentive aura permis d’identifier l’origine de la fumée ( !) et facilitera par la suite la résolution du problème en évitant une remise sous tension « pour voir où ça se passe » avec le risque d’aggraver sensiblement la situation …
Autre sens vital dans cette situation : ce bon vieux « pif » car il permet de détecter, généralement avec une très grande fiabilité, les endroits où la concentration de calories est trop importante ce qui provoque une émission d’odeurs caractéristiques que l’on apprend généralement à identifier rapidement ! Le fait d’approcher cet instrument de mesure permet également de mettre à profit la capacité de la peau à jouer le rôle de « pyromètre », ce qui permet d’en profiter pour « évaluer » la température des tubes, notamment de puissance. Une éventuelle surcharge de ces derniers se traduira par un rayonnement infrarouge excessif. Dernier sens que l’on peut mettre à profit : l’ouie. Cette dernière ne doit en principe pas détecter grand chose hormis l’éventuel ronronnement du transfo d’alimentation mais il est possible que certains dysfonctionnements se manifestent également de façon « sonore ».

Pour l’instant pas grand chose à signaler. Après quelques minutes d’observations à l’aide de tous les sens à ma disposition et en l’absence de signe particulier le générateur BF est connecté sur une entrée tandis que l’oscilloscope est connecté sur la sortie. Cela permettra de visualiser l’ensemble des éléments d’un rapide coup d’œil. En effet si la sortie est correcte il y a fort à parier que l’ensemble des circuits fonctionne convenablement.

Malheureusement il n’en est pas ainsi ! Il apparaît bien un « semblant » de sinusoïde mais son allure n’est correcte qu’à faible niveau. Sitôt que je monte le volume, elle se déforme affreusement avec en plus un début d’écrêtage doublé d’une amorce d’oscillation. De plus le transfo de sortie me fait savoir par un bruit tout à fait caractéristique et périodique qu’il n’apprécie pas le traitement. Bon, c’est pas ce soir qu’on écoutera de la musique !

Après avoir observé à peu près la même chose sur l’autre voie il s’agit maintenant de déterminer si ce dysfonctionnement provient de la partie pré-amplification ou amplification de puissance. La sonde de l’oscilloscope est donc déplacée en sortie de la platine de pré-amplification où j’observe le même signal. Après vérification de l’intégrité du signal à l’entrée de cette dernière (après le commutateur de sélection d’entrée) il est donc clair qu’une panne affecte ce circuit. Il en est de même de l’autre voie. De plus une observation détaillée fait apparaître que le signal, en plus d’être déformé, n’est pas stable et oscille à une fréquence de l’ordre de 1 Hz. Voilà qui est curieux ! Mais maintenant, comment s’y prendre ? Commençons par « jeter un œil » aux tensions présentes sur les anodes des ECC83 et essayons de reconstituer le trajet du signal dans le but de trouver la partie de circuit en cause. Peine perdue ! Les tensions, hormis le fait qu’elles bougent au rythme de la perturbation évoquée ci-dessus, sont d’une valeur globalement correcte. Quant au signal il se trouve détérioré dès le premier passage au travers d’un élément actif (c’est-à-dire la première demie ECC83). De plus une oscillation de fréquence élevée apparaît jusque sur la sortie de l’alimentation H.T., même en l’absence de tout signal sur l’entrée …
Bon, me voilà maintenant tel une poule devant un couteau suisse ! Que faire ? Tout ça n’est pas très logique, la fonction d’un préampli n’est pas à priori de fonctionner en oscillateur … mais je ne trouve rien d’anormal à priori. Après un temps de réflexion (indéterminé !) je décide de commencer par remplacer l’ensemble des résistances de la platine. Après tout elles ont fait leur temps et l’échange au profit de composants modernes à couche métal ne pourra nuire ! Et il se pourrait que certaines d’entre elles aient changé de valeur. Le remplacement se fera donc pièce par pièce avec, pour chacune d’entre elle, la vérification de la valeur par lecture des anneaux de couleur doublée de sa mesure à l’aide de l’ohmmètre. Cette opération sera réalisée avec soin et minutie car, bien que disposant du schéma de l’appareil, les valeurs indiquées sont souvent illisibles et de plus ne concordent pas toujours avec celles du montage. D’autre part la dépose partielle de la platine nécessitant le débranchement de plusieurs fils, ces derniers seront bien repérés à l’aide d’un petit croquis ou, mieux, en prenant des photos des détails avant dessoudage. Ces éléments seront bien utiles au moment du rebranchement étant entendu qu’il est inutile de générer des pannes supplémentaires !

Sur l’ensemble des résistances seul un exemplaire accuse une dérive sensible (630 kW au lieu de 470 kW) les autres étant restées dans leur intervalle de tolérance. Il est donc probable que l’origine de la panne soit à chercher ailleurs. Et, en effet, après remontage et remise sous tension, le défaut est toujours observable, sans changement. Et maintenant ? Que reste-t-il « d’ancien » sur la platine ? Les condensateurs liés au correcteur de tonalité (mais il ne peuvent expliquer la panne) et les deux condensateurs de liaison en sortie des platines. Ceux-là, par contre, pourraient être soupçonnés. De valeur 0,1 µF / 400 V ils sont remplacés par des équivalents modernes de même valeur.

Après remontage nouvelle remise sous tension. Cette fois sera-t-elle la bonne ? Car sinon je rend mon tablier !
BINGO ! Tout est rentré dans l’ordre, plus d’accrochage ni d’oscillations intempestives. Raccordons à nouveau le générateur en entrée et voyons quelle allure tout cela présente ! Et bien ce n’est pas vilain et cette partie du montage semble en tout cas avoir retrouvé un comportement conforme à l’attendu.
Voyons maintenant ce que donne la bande passante. Ce sera une indication intéressante quant à l’état de santé de notre patient ! Aie, ça ne s’annonce pas bien ! Cela ressemble à des (ou plutôt une) montagne(s) russe(s) … Que peut-il bien encore se passer ? Voyons un peu l’autre voie. Bon sang, c’est pas « droit » non plus et en plus « ça fait pas pareil ». Bon, un peu de calme, il y a forcément une explication rationnelle, le montage ne peut être en cause et tout va bien par ailleurs, alors quoi ?

Alors je me suis rendu compte qu’à force d’avoir le nez dans le chassis j’avais oublié un élément d’importance, pourtant indirectement évoqué pendant le dépannage. Bon sang mais c’est bien sûr : cet engin est équipé de correcteurs de tonalité ! Et bien évidemment ces derniers fonctionnent parfaitement ! Cela explique le profil chaotique de la bande passante. Après rapide vérification je m’aperçois (le contraire eût été étonnant !) que les potentiomètres de tonalité se trouvent dans des positions tout à fait aléatoire.

Une fois ces derniers réglés de façon à atténuer autant que faire se peut leur influence je trouve enfin une bande passante à peu près droite mais somme toute étroite puisque les 20-20000 Hz ne sont obtenus qu’en concédant 3 dB aux deux extrémités. C’est un peu maigre pour les audiophiles maniaques que nous sommes mais il ne faut pas à ce stade préjuger de la qualité musicale. Seules les oreilles seront considérées comme des instruments de mesure dignes de foi une fois la restauration achevée.

Par curiosité je commute le générateur BF en signaux carrés, histoire de visualiser l’influence des réglages de tonalité. C’est amusant et instructif !


Voici un signal carré de 100 Hz, le réglage du « grave » étant en position « non influente » (La sensibilité est de 2 V / div.).




Toujours le signal de 100 Hz mais cette fois le réglage « grave » est au maximum (sensibilité 2 V / div.).



Toujours le même signal de 100 Hz en position « mini » du réglage « grave » (sensibilité 2 V / div.)




Cette fois on visualise l’influence des « aigües ». Signal carré de 10 kHz, sans correction de tonalité (position médiane). Sensibilité 2 V / div.



La même chose en position maxi du réglage « aigües » (Sensibilité 10 V / div).




Contrairement aux apparences il s’agit toujours d’un signal carré de fréquence 10 kHz, le réglage du générateur BF n’ayant pas été modifié, mais cette fois avec le réglage « aigües » en position mini (sensibilité : 0,2 V / div.).
Comme on peut le constater le correcteur de tonalité est un artefact dont il est hautement souhaitable de se passer !

Avant de passer à la dernière partie de notre processus de restauration et dans le but de le préparer je vous propose de « jeter un œil » sur une particularité (parmi d’autres) de cet ampli : l’alimentation des filaments des quatre tubes constituant la section de pré-amplification.

Regardons avec attention l’extrait de schéma concernant cette partie :


(cliquer sur le schéma pour agrandir)


On y trouve le tube driver/déphaseur (V10), les deux tubes de puissance (V11 et V12) et le transfo de sortie d’une voie et, sur la droite, la partie de l’alimentation concernant les filaments. Commençons par nous intéresser à cette dernière en observant les éléments surlignés. On voit (ou devine !) que les filaments des huit tubes des platines de puissance, c’est-à-dire V3 à V6 et V9 à V12 sont alimentés directement par l’enroulement secondaire du transformateur d’alimentation. D’autre part les deux résistances de 220 W (R49 et R50) forment un point milieu fictif. Ce point est relié à une extrémité des filaments des quatre tubes V1, V2, V7 et V8 de la section pré-amplificatrice connectés en série. Il est également découplé par rapport à la masse par le condensateur chimique C25. L’autre extrémité des filaments est relié à la masse. Et alors me direz vous ? Et bien pour l’instant rien ne se passe, et il est difficile de comprendre comment les filaments peuvent être alimentés, n’est-ce pas ?

Poursuivons notre chemin :


(cliquer sur le schéma pour agrandir)


Reprenons à partir du point milieu fictif. Nous pouvons voir qu’il est directement relié aux cathodes des tubes de puissance. Le point K renvoie vers l’autre voie de manière identique. Alors, que se passe-t-il ? Les quatre cathodes reliées entre elles vont drainer la somme des courants traversant chaque tube. Ce courant va tout naturellement rejoindre la masse au travers des filaments de V1, V2, V7 et V8. Ils servent donc tout simplement de résistance de cathode commune aux tubes de puissance. Cela explique la présence de C25. Oui, mais les filaments ne se contentent pas de n’importe quelle tension, me direz-vous, il faut disposer d’une tension constante de 12,6 X 4 = 50,4 V par rapport à la masse. En effet … mais cette tension n’est conditionnée que par une seule chose : le courant traversant les tubes de puissance et qui doit être égal à 150 mA au total, soit environ 38 mA par tube de puissance. Et comment ajuste-t-on le débit d’un tube ? En agissant sur sa polarisation c’est-à-dire sa tension négative de grille par rapport à la cathode.

Voyons cela sur l’extrait suivant :


(cliquer sur le schéma pour agrandir)

Nous partons cette fois des grilles des tubes de puissances sur lesquelles est appliqué le signal musical issu des condensateurs de liaison C42 et C43. Une tension continue de polarisation est superposée à ce signal par l’intermédiaire des résistances R83 et R84. Cette tension est obtenue à partir d’un diviseur constitué des résistances R89 et R90 disposées entre les cathodes des tubes de puissance et la masse. Cette tension est donc bien négative par rapport au potentiel des cathodes et le rapport des valeurs du diviseur va par conséquent déterminer le débit des tubes de puissance ainsi que la tension d’alimentation des filaments des tubes du préampli. Etonnant, non ?! En tout cas très astucieux …

Et en prime les filaments des tubes d’entrée se retrouvent alimentés en courant continu de très bonne qualité … sans diode de redressement !

à suivre …