Un grand merci à Jean-Marie Willigens pour ce reportage (photos et commentaires) comme on les aime.

Neu Isenburg est aussi parfaitement dans l'axe des pistes du deuxième aéroport d'Europe qu'un diamant de Klyde tenue par un Ittok l'est dans son sillon. Nonobstant, le patelin, fondé par des huguenots chassés par certaine révocation, compte au moins un magasin de hi-fi tout à fait correct et reste bucolique, entouré comme il est de grands espaces boisés. La "Maison forestière de Gravenbruch", transformée en hôtel par le groupe Kempinski, mais encore assez rétro pour qu'on s'attende à voir déboucher un équipage de chasse du kaiser ou de Goering, est non loin de là.

=> http://www.kempinski-frankfurt.com/indexhome.htm

C'est l'environnement idéal pour des séminaires, et un cadre assez adapté à un salon hi-fi pour que le "High-End", qui s'y tient traditionnellement, ait depuis lontemps dépassé en taille et influence les zombies de notre ancien Festival du Son.

Parti tôt, j'étais là tôt, aprés deux cents bornes sans histoire,

=> http://www.citroen.fr/sports/

et presque avant tout le monde.

Je me garai donc quasiment devant l'hôtel, au lieu de devoir aller rejoindre le grand parking aménagé à un kilomètre sur le drive-in isenbourgeois. Il faisait beau en ce neuf mai, avec les vents idoines pour que les avions nous survolassent à trois mille pieds au lieu des moins de mille qu'ils maintiennent en approche, le coupe-fil reçu de Madame Paxa fit son office, en une minute j'étais dans les lieux, quasiment vides...

C'était compter sans la vigilance des cerbères -féminins mais non moins zélés- qui montaient la garde à l'entrée des couloirs. Je fus donc prié -gentiment mais non moins instamment- de patienter jusqu'à dix heures. Une bonne raison de m'offrir un "fruehstueck" face au jardin, et une détente que je consacrai à mémoriser les principales fonctions de l'extraordinaire caméra numérique prêtée par mon fils pour cette journée d'exception

= > http://www.megapixel.net/html/issueindex-f.html chercher fuji finepix 6900.

Après cinq minutes, j'avais tout compris, comme mes photos en portent témoignage, et décidai donc de me grimer en portefaix poussant un conteneur de blocs Krell vers le salon de cette firme pour rentrer avant les autres. Le stratagème réussit, j'étais dans la place, toujours quasiment vide.

Je supputai que si l'Allemagne était toujours l'Allemagne, au moins les prussiens et les saxons seraient là, Bluecher avant Grouchy. Effectivement, Jochen Kiesler semblait m'attendre. Jochen Kiesler, c'est Geithahn, l'un des rares fabricants de renom de l'ex RDA et l'un des encore plus rares ayant survécu à la réunification. Ses enceintes actives quasi cubiques et équipées de systèmes coax sont renommées chez les pros. Le WAF est minime, mais elles percent aussi chez les amateurs. Cette année Jochen Kiesler présente ses nouveaux modéles 900 et 901, les plus gros, avec un système d'amortissement arrière qui réduit considérablement (de 10 db entre 30 et 250 khz) l'émission en direction des parois de la pièce d'écoute, éliminant une forte proportion de réflexions parasites.

Jochen Kiesler n'est pas le seul à avoir mis au point une telle solution, en fait je la retrouverai déclinée chez de nombreux autres acousticiens au cours de la journée et cette recherche me semble représenter une des dominantes du salon de cette année: Rendre les basses plus propres en obtenant des enceintes les mêmes caractéristiques cardioides que pour les micros.

Pour Geithahn la démonstration est impressionnante. J. Kiesler, jovial, se prète de bonne grâce à une photo, allant jusqu'à simuler une scène à la limite de la décence avec sa jeune assistante et, si je n'avais pas dû continuer, il m'aurait conté des heures durant son aventure acousticienne dans les plus délicieux des parlers saxons.

Je continue donc, toujours en avance. Et là, récompense suprême, le maître Dieter Burmester est chez lui, les portes de son salon grandes ouvertes. Burmester, vingt cinq ans après ses débuts, c'est toujours le sonny boy chouchou des médias et des bancs d'essai allemands, des esthétiques parfaites, une finition superbe. Il est sur un petit nuage, c'est lui qui sonorisera les Bugatti que VW fait construire à Molsheim, il emploie 35 personnes à faire des chaînes coûtant en moyenne plus de 50.000 écus. Il s'est lancé, bien évidemment, dans le home cinéma et les "supports modernes", et nous en fait une démonstration très réussie, bien que j'aie personnellement un problème à voir le flûtiste sur un écran quand c'est le son de la clarinette qui domine... J'ai apporté de nouveau une prise K617, mais cette année c'est celle des "vespro della beata vergine" par...Carrido, bien entendu. Il la glisse dans son lecteur.

Effroyablement complexe, cette prise. Sur sa chaîne elle est bien maîtrisée. Bien, sinon très bien: Pour une raison indéfinissable, je n'arrive pas à "flipper", et je sais que je ne suis pas seul, mais la prestation fait tout de même classer Burmester parmi les "grandes électroniques". 

Les étages du Kempinski commencent à se remplir. Si j'ai constaté que c'est une excellente idée que de réclamer de pouvoir photographier les créateurs à côte de leurs créations, et qu'on peut en profiter pour obtenir quelques instants de tchatche plus instructive que celle des attachés de presse, cela ne suffit pas toujours pour se voir accorder au moins dix minutes d'écoute concentrée avec des CD apportés. Je ferai donc un large détour pour éviter les salons les plus bruyants ou bourdonnants, et désélectionne Sony et la plupart des nippons grand public, le home cinéma et les cabliers, pour me polariser sur les artisans, les enceintes et à la rigueur les amplis. Et l'une ou l'autre platine microsillon, ou ses cellules, puisqu'il y en a au moins dans la moitié des pièces...

Il y a d'ailleurs quelques absents cette année, soit rendus prudents par la crise, soit hésitant dans l'expectative de l'issue des combats de standards. Martin Logan, par exemple, n'est pas là, ni Soundlab.

Bünzow, en revanche, est là, avec un nouveau module électrostatique qui n'est pas branché, mais présenté sur un plateau par une sculpturelle esclave noire et nue. Je retrouve dans son geste l'attitude d'adoration soumise de la gent féminine par rapport à ces transducteurs, qui la méritent d'ailleurs...

Du côté des autres enceintes, j'ai particuliérement relevé plusieurs nouvelles marques finlandaises, et pas seulement en bois, dont le pays a pourtant de grandes ressources:

J'avais déjà entendu les Gradient de Jorma Salmi, constituées de deux boitiers de section triangulaire, l'inférieur pouvant ainsi être orienté de manière que les HP graves, montés en dipole, présentent un minimum de réflexion des parois, en association avec les fantastiques amplis Gamut "monototors".  Leur transparence est du niveau de bons ESL, leur agilité ne s'accompagne d'aucun manque de basses, les "Revolution", de plus, sont d'un prix trés abordable => www.gradient.fi

Toujours finlandaises les Amphion, plus conventionnelles d'aspect, avec un modèle relativement simple dénommé Athene , et un haut de gamme, la Xenon, également conçu pour présenter un rayonnement cardioide ou hypercardioide ("type Neumann M149") minimisant l'effet des réflexions de la pièce d'écoute...Très bonne impression là aussi, surtout que, bien que de grande taille, les Amphion restent "finlandaisement" bon marché.

Enfin une autre marque finlandaise expose sa Crevasse (honni soit qui mal y pense, on avait déjà la "fente verticale" de Norvège, rejointe par une Cabasse Kara assez semblable et surmontée d'un bouton assez suggestif): Il s'agit d'une enceinte hybride, équipée d'un long ruban (pesant moins d'un gramme) doté d'une amorce de pavillon, comme un livre á moitié ouvert, et d'un boomer conventionnel. Elle est présentée derrière un ampli à tubes minimaliste, de 15W au plus, mais qui s'en sort fort bien alors qu'il ne tirerait pas un borborygme à une Maggie.

Dans le reste de l'Europe, on relève parmi les grandes marques classiques, telles la famille des Utopia

,

devant laquelle Jacques Mahul  nous a fait l'honneur de poser lui aussi , quelques modèles dont le look s'inspire assez manifestement des "fuseaux" de BW, chez  Kef, par exemple .

 Par un autre mimétisme, plusieurs marques, dont Dynaudio

ou Audiodata, développent en grande hauteur (jusqu'à deux mètres et plus) les mêmes schémas "super d'Appolito" très impressionnants, chacune bien sûr avec ses formes et composants propres.

Chez les "petits", nombre d'enceintes haut rendement déjà vues les années précédentes, sur base Lowther ou Fertin, et l'une ou l'autre nouveauté telles les Rèthm distribuées par Reson. Au détour d'un couloir, Bösendorfer expose lui aussi. Ses enceintes sont aussi belles que ses pianos et d'un principe similaire puisqu'au lieu d'amortir la résonance des bois du coffret on cherche à la faire participer à l'image musicale. C'est indéniablement très musical, mais le temps m'est malheureusement trop compté pour une écoute critique, d'autant que je n'ai pas apporté de disque de piano...

Je note chez les autres de plus en plus de modèles, conventionnels mais dotés de membranes de transducteurs en céramique, voire, comme celles de Thiel, en diamant: Citons les Avalon, qui s'étaient octroyées une majorité des démonstrations d'électroniciens, et étaient utilisées par exemple par Lavardin, ou les Lumen White autrichiennes.

Chez Audiophysics j'écouterai plus tard dans la journée, et dans une relative quiétude, un remarquable prototype Cronos

, après avoir goûté aux excellentes Symphony de chez Clearlight, récemment encensées par la revue Stereo .

Des schémas assez classiques, mais profitant à plein des progrès réalisés au niveau des matériaux de coffret ou de membranes, des filtres et des modélisations d'acoustique. 

Je ne pouvais cependant laisser de côté cette spécialité très allemande que sont les enceintes (on peut discuter de la justesse du terme) à pavillons sphériques. Je fais donc un tour chez Monsieur Martion, de Berlin, qui présente ses Orgon, que la revue allemande Audiophile considère comme les toutes meilleures au monde,

, et chez M. Winters qui pose devant ses extraordinaires A Capella, flanquées d'un gigantesque caisson de basse vertical et dotées d'un tweeter ionique Corona

Un peu plus loin on trouve Avant Garde, avec son modèle "compact", et les suédois de Voice Point, sur base coax.

L'assez forte délégation italienne brille une nouvelle fois par ses esthétiques et ses finitions. Outre Graaf, Sonus faber et telle ou telle marque déjà bien connue à l'étranger, j'admire les superbes Ars aures,

à qui monsieur Kron confie cette année le soin de faire chanter ses triodes, et m'étonne devant les enceintes-oeufs à suspendre par fil, qu'Alessandro Copetti vend sous la marque U-Vola.

En début d'après-midi je manque me faire écraser par deux visiteurs chargés de lourdes valises. Ce sont mes copains suédois, oreilles d'or du royaume Wasa, qui viennent de débarquer. Ils me confieront le lendemain que j'ai raté le summum, mais que je reste excusable puisque la merveille n'était pas au Kempinski, mais dans une autre exposition à proximité. Cela s'appelle Signature Phoenix, est fabriqué par Calix à Taipeh, pèse 136 kg avec un look mi-Eurythmie mi-Carfrae, une finition à se damner, et sonne...Eh bien, il paraît que cela ne sonne pas, que c'est fabuleusement neutre. Au moins entre 20 Hz et 40 khz.

On relève certes au fil des écoutes d'enceintes quelques rares sources ou amplifications qui "interpellent".  Le salon ne se prêtant pas à des orgies de dynamique ni à l'écoute des détails les plus subtils, c'est surtout la fluidité et l'équilibre général qui frappent dans ces cas d'exception. Ce qui ne veut pas dire que d'autres matériels ne s'avèreront pas excellents eux aussi dans un autre cadre et d'autres conditions. A Francfort, ce sont les Gamut qui me fascinent à nouveau. Et quelques très belles amplifications à tubes, bien que ni les Lamm ni les Modulus, mes préférés des années précédentes ne soient branchés quand je passe.

Je fais cependant le tour des "grands" anciens de l'électronique audio allemande, le temps d'une photo avec M. Gemein (Symphonic Line, )

M. Schaefer (ASR,)

Dusan Klimo



avec le concepteur des HP Duevel) ou M. Tessendorf, puis passe à la nouvelle génération avec les grands tubistes que sont Andreas Hofmann (Octave, 22) et le concepteur des superbes Pharao,

je dis bonjour à la famille Schunk chez Accustic Art

retenez l'orthographe, et le nom; pour le son, ils sont -très bien- distribués en France): Tous de beaux, voire de très bons matériels, très loin, voire aux antipodes, des sonorités "typiquement allemandes" d'antan, et à écouter lors d'une visite en Allemagne pour ceux qui ne sont pas importés.

Et les français? Si ni YBA ni Madame Phlox ne sont là pour expliciter leur gamme Audio Refinement, je note une forte présence de firmes assez discrètes dans l'hexagone et privilégiant manifestement l'export: Audioméca, Métronome Technologies, et la "mafia toulousaine" de Kora et Audio Aéro , avec leurs superbes électroniques à tubes.

Bon, un appel m'arrive me signalant que mon premier visteur des Charlinales sera devant ma porte dans trois heures; cela ne me dérangerait pas trop de le faire attendre, si je ne savais qu'il apporte  avec lui quelques cartons de victuailles ne supportant aucun délai ni interruption dans la chaîne du froid.

J'accélère donc, dérange le temps d'un flash Wolfgang Thörner de WBT

Reste quelques instants pâmé chez Nagra,

plus d'ailleurs à cause de la démonstration du magabob SNSTR de 590 g que du VPA à grosses 845 qu'il alimente, et un peu plus longtemps chez le binome nippo-bosniaque de 47 Laboratory

aux électroniques minimalistes. Leur ampli 2x50W mesure, hors bloc d'alimentation, 17 cm sur 10, le boitier n'abritant que 9 composants, et le signal n'empruntant au total que 32 millimètres de cables ou piste en dehors de ces composants!

Voilà, c'est presque fini, je m'invite chez le délicieux M. Moerch, qui n'a rien d'une déesse indienne malgré sa collection de bras filigranes tape M. van den Hul

de quelques tuyaux pour le montage d'une cellule demi-pouce dans une coquille EMT (à retailler! la forme de boite ouverte est un piège à vibrations! ), dis bonjour à Jochen Räke (Transrotor) devant une de ses tours-tournantes de plexiglas, ce qui implique d'aller faire de même chez Clearaudio et son rival de toujours Peter Suchy

.

Le représentant d'Ortofon se révèle intarrissable sur la nouvelle gamme mise au point pour le marché allemand, qui ne se satisfait plus de la finesse de la Rohman mais réclame plus de tièdeur à la Koetsu.

Passionnant, mais je baille,  j'ai besoin de quelques minutes de repos avant de rentrer...

Par bonheur c'est dans un profond fauteuil que Jan Allaerts, le plus fameux des analogmen  belges, accepte de me confier quelques notes après photo

Il se plaint! Il a mis au point la cellule quasiment parfaite, presque éternelle, aprés en avoir réparé, de toutes marques et configurations, pendant de longues années. Il sait les matériaux idéaux, les tarages, les réglages. Mais ce savoir est quasiment impossible à transmettre, et chaque cellule lui prend près d'une semaine. Soit de cinquante à cent par an, plutot cinquante. Il se plaint parce que dans le même temps on lui en commande trois cents, en année de crise!

Dont au plus deux de France.

Ce qui illustre bien que la hi-fi française elle a loupé au moins un virage...

Bonnes écoutes